Pour répondre à la demande de Dementia, récit d'un mini trip de 3 jours en Limousin, avec un itinéraire en boucle au départ de Limoges. L'objectif était d'aller faire le tour du plateau de Millevaches avec un ami dont c'était une première en itinérance. Cette boucle nous trottait dans la tête depuis un petit moment, on a fini par trouver un créneau commun dans l'agenda et une fenêtre météo pas trop mal, donc en route !
Décollage de Limoges mercredi un peu avant midi, sans programme défini sinon celui de boucler la trace au plus tard vendredi (hier) soir. Nous nous écartons rapidement de la ville pour remonter la Vienne rive gauche, par un sentier monotrace technique absolument jouissif, déjà emprunté l'an dernier (dans l'autre sens) avec le sieur Lafoy. Les organismes s'échauffent doucement, après 30 km nous voilà à St Léonard de Noblat. L'occasion pour nous d'un premier ravitaillement : je voulais retourner dans ce petit resto découvert voilà 2 ans avec ma douce et mes filles, de ces tables qui réussissent encore à proposer une formule "à volonté" qualitative pour 12€ :
Las, le resto est fermé cause Covid, on se rabat donc sur une boulangerie afin d'assurer les stocks de nourriture car les zones qui vont suivre sont pour le moins désertiques... pique-nique en bord de Vienne toujours, avant de repartir et quitter le lit de la Vienne pour suivre un temps celui de la Maulde, un affluent qui prend sa source à Millevaches, comme la Vienne. Pour moi la digestion est longue et laborieuse, j'accuse un peu le coup.
Notre itinéraire se poursuit par monts et par veaux & vaches : Bujaleuf, Beaumont du Lac... la trace s'évertue à éviter les villages si bien qu'on ne quitte pas la forêt luxuriante du Limousin. Le terrain, granitique et sablonneux, est rigoureusement sec malgré les pluies récentes. C'est un véritable bonheur à rouler. De bosse en bosse, au détour d'un virage, le lac de Vassivière finit par apparaître au détour d'un single d'anthologie, que l'on a emprunté en montée et qui se mérite en traînant nos sacoches !
L'itinéraire se poursuit vers Faux la Montagne, avec un quasi tour complet de l'étang de Faux, qui nous offre un paysage magique au soleil couchant... jusqu'à tomber sur le barrage, un poil étroit pour nos cintres de 760 !
Je tâche de composer avec le réseau GSM disons, fluctuant, pour tenir informées nos chéries qui ont eu la gentillesse de garder nos enfants respectifs durant notre périple entre potes. A Faux la Montagne, mon compagnon de route souhaite en rester là pour aujourd'hui. Cette première journée s'achève donc après 6h30 de pédalage, pour une distance de 97 km et près de 2200 mètres gravis. Nous faisons alors un tour du village pour trouver un lieu de bivouac, nous avons le choix entre le lavoir avec WC publics, le préau de l'école, ou bien le camping et ses sanitaires confortables (mais nous n'avons pas de tente). Mon comparse ayant une préférence pour les sanitaires et la douche chaude, nous misons sur le camping. Nous y arrivons bien après la fermeture de l'accueil, en discutant avec des campeurs ceux-ci nous proposent spontanément 2 tentes en prêt, et à dîner. Nous acceptons la tente, déclinons le dîner car nous avons repéré au village un camion - pizza dont les effluves de feu de bois ont éveillé nos papilles.
Tente plantée, pizzas achetées et avalées, douche prise... au dodo ! La tente est minuscule, à 2 on étouffe, je décide finalement de dormir à la belle étoile. Le ciel est dégagé, la température est douce : du bonheur, si bien que je passe une nuit quasi blanche à observer la voute céleste, bercé par les bruits de la nature et les effluves de sapin... je me découvrirais presque un côté contemplatif ! On décide de ne pas programmer le réveil, laissons la nature décider ! J'ouvre l'oeil à 7 heures, je plie mes affaires en 20 mn (je suis bien rôdé dorénavant). Le temps que mon comparse en fasse de même, j'erre dans le village :
On décolle vers 8h, le soleil brille et l'air est doux. Les couleurs sont superbes, la nature verdoyante nous enveloppe d'emblée. Je suis littéralement amoureux de cette région rurale et sauvage, finalement assez méconnue. Nos organismes montent doucement en température, l'étape du jour s'annonce comme le plat de résistance : nous visons environ 120 km, histoire d'être "tranquilles" le vendredi pour la fin du périple.
Après plusieurs épreuves itinérantes durant lesquelles "le chrono compte un peu", je redécouvre le plaisir de rouler... pour le plaisir : prendre son temps, profiter des paysages, faire des pauses... je contemple les environs, le regard totalement happé :
Nous pédalons totalement hors du temps, sans croiser ni habitation ni randonneur... le désert, en plein centre de la France !
Nous nous hissons en haut d'une belle bosse, à 830 mètres d'altitude, et nous découvrons la chapelle du rat, érigée au XVIIème siècle... et la lumière fut !
Entouré de hêtres centenaires et de formes granitiques burinées par les éléments, l'édifice cache un panorama splendide. Nous choisissons cet endroit pour une pause sucrée :
Nous reprenons notre chemin et profitons du bourg de Peyrelevade pour remplir nos sacoches : cacahuètes, mini saucissons, taboulet, fruits... l'idée est d'en stocker un maximum avant d'attaquer la vraie traversée du désert : le prochain bourg avec commerces sur notre itinéraire est à plus de 60 km de là ! et nous n'avons pas envie de nous détourner de la trace pour aller chercher un village. Au petit Casino grand comme mon salon, on trouve tout ce dont on a besoin. Le caissier, adorable, nous questionne sur notre périple, on discute un moment.
Ca y est, cette fois Millevaches nous est servi comme sur un plateau !
Les églises sont nos points d'avitaillement en eau, la région étant généreusement gréée en fontaines. Une chance quand on pratique l'itinérance, à pieds comme à vélo.
Les paysages sont très variés ce qui rend le voyage encore plus dépaysant. Après avoir roulé dans une forêt épaisse de feuillus centenaires, nous traversons une tourbière, puis peu de temps après nous nous engouffrons dans une sapinière à la fraîcheur salutaire (c'est qu'il fait ferait presque chaud !) :
Les kilomètres défilent, j'en prends plein les yeux et les narines : un pur bonheur. Quelques belles ascensions plus tard, nous voici rendus au point culminant de feue la région Limousin : la tour du Mont Bessou, à tout pile 1000 mètres !
Cet endroit offre un panorama splendide sur la chaîne des Puys, d'autant que la météo du jour nous préserve d'un ciel encombré.
Encore une chance pour nous : depuis à peine 2 ans, un chalet propose de la restauration sur place... il était temps, je sentais monter un début d'hypoglycémie ! le temps d'enfourner une galette complète et une crêpe Nutella, je fais sécher mon sac de couchage qui a un peu ramassé la rosée dans la nuit. La collation fait du bien, je range mes affaires pendant que mon comparse pique un petit roupillon en plein soleil, et puis on repart. On est à la mi-journée, nous espérons parcourir encore au moins 60 km.
Les sentiers défilent sous nos roues, je n'ai pas tout pris en photo mais le film déroule dans ma tête. Des vaches, des moutons... voilà l'essentiel des créatures vivantes que nous aurons croisées. Puis vient le village de Lacelle, en Corrèze, où nous trouvons une aire de bivouac municipale. Nous décidons de nous y poser pour la nuit.
Nous n'avons pas emporté d'abri, des campeurs déjà installés nous donnent les clefs des sanitaires où nous pouvons dérouler nos matelas. Le confort est spartiate, mais la douche est chaude et la météo annonçant de la pluie dans la nuit, nous sommes heureux d'être "hors d'eau" :
Nous dévorons nos victuailles, restes de pizzas de la veille (chaîne du froid, même pas peur !). Après dîner je pars faire un tour pour découvrir les alentours, je découvre amusé une miniature Majorette Renault qui a bien vieilli, posée sur un compteur électrique du camping :
D'autres campeurs arrivent, nous discutons et sympathisons. Moi qui ne suis pas un adepte du camping, je découvre une certaine notion d'entraide et de bienveillance. Allez, assez discuté, il nous reste de la route ! Aujourd'hui jeudi nous avons parcouru 118 km pour 2650 mètres de dénivelé, sur 8 heures de pédalage : nous nous couchons donc avec le sentiment du devoir accompli, car c'était peu ou prou notre objectif du jour. Demain, il nous reste 100 km pour rentrer, et (normalement) un faible dénivelé. Par contre, la météo annonce de la pluie entre 7h et 12h... qui vivra verra, on décide d'aviser au réveil selon l'état du ciel.
Le lendemain, réveil 7h pour moi après une nuit assez courte. J'ai eu trop chaud dans les sanitaires... comme quoi, des fois, la recherche de confort nuit au confort ! Il n'a finalement pas plu mais le ciel est bien gris. Je plie mon paquetage en 20 mn, temps qui me semble désormais habituel et incompressible. J'avale une banane en attendant que mon collègue ait bouclé le sien (de paquetage), et nous décollons vers 8h. Avec un premier arrêt à la boulangerie du village, tenue par un gars adorable d'une quarantaine d'années, visiblement tout content de voir des étrangers ! Je lui passe ma commande, viennoiseries pour le petit déjeuner, sucre américain liquéfié pour carburer, et feuilletés au comté pour le casse-croûte de mi-journée... damned, il ne me reste que 10€ en liquide, le boulanger m'annonce une douloureuse à 13 et n'accepte pas la carte bleue ! Spontanément, il m'ordonne de tout prendre, et se contente de mes malheureux 10€... j'objecte du fait que tout travail mérite salaire, je lui intime l'ordre de garder les canettes vu qu'on a de l'eau. Il me répond que si je refuse ses canettes en cadeau, il me les balance en pleine figure ! au final on reste discuter 10 mn, il nous demande d'où on vient, où on va, qu'on est mabouls de faire ça, il nous envie mais pas trop, nous souhaite bon courage et nous dis à bientôt. Super sympa, le voyage ce sont aussi des rencontres.
On démarre par une bosse, longue mais douce, parfaite pour "remettre en route". Puis l'étape prend un profil plutôt descendant, je m'abstiens de photographier car le ciel gris écrase la lumière... on avance jusqu'à parvenir au pied du gros pétard du jour, l'ascension du Mont Gargan (731 mètres, bouh !), contrefort du plateau des Millevaches, à son extrême ouest :
Si le Mont Gargan regrette, pour 60 mètres, de ne pas être le point culminant de la Haute-Vienne, il se console en s'offrant un panorama à 360° sur la région, avec une visibilité dépassant les 100 km par beau temps. Pour nous, ce sera un peu moins, mais juste assez pour deviner le retour du soleil par l'ouest : ça tombe bien, c'est notre direction !
A son sommet se trouve une ancienne chapelle en ruines, érigée à la fin du XIXème siècle :
La cloche du clocher déchu est exposée dans l'ancienne nef (Jolanda ?), sous clef :
Le Mont Gargan est également un lieu chargé d'histoire, puisqu'il fut le théâtre d'une bataille opposant près de 10000 hommes allemands et français en juillet 1944, dans cette région de la Haute-Vienne surnommée "la petite Russie limousine". Au sommet, une stèle salue la mémoire des soldats tombés pour la France.
Il est désormais temps pour nous de dévaler les pentes du Mont Gargan pour rejoindre Limoges, distant de 53 km à vol d'oiseau selon la table d'orientation, mais plutôt de 70 bons kilomètres pour nous qui apprécions les chemins détournés. Nous poursuivons notre route et comprenons sans grande surprise que le dénivelé cumulé de la sortie sera largement supérieur à celui annoncé par notre brave GPS... tant pis, y'a du rabe mais on a faim !
Etape à St Méard pour découvrir le génial concept d'aire de bivouac proposé par la Mairie : salle hors sac éclairée, évier, barbecue, tables, douche solaire, toilettes sèches... tout pour le randonneur, cavalier, vététiste, mis à disposition gratuitement. Il y avait même des cageots de petit bois tout prêt à l'emploi ! Dingue, si seulement ce type de structure pouvait exister partout...
Notre route se poursuit le long de la Briance, un affluent de la Vienne long de 58 km qui prend des airs de torrent montagnard. La fraîcheur de son lit nous cueille, le sentier qui la longe est absolument délicieux malgré les quelques arbres tombés en travers :
Le temps de gravir une nouvelle bosse, dévaler une nouvelle descente barrée... déboulant dans une ferme. Nous sommes cueillis par une femelle Boxer pas hyper accueillante (j'ai peur des chiens), sa maîtresse sort de la maison pour venir à notre rencontre. Nous engageons la discussion, elle nous propose un café : sympathique, ça n'est pas l'envie qui manque mais la route est encore longue, alors nous déclinons. Puis, quelques temps plus tard, un immense pré, ou plutôt un océan de fleurs sauvages :
Là encore, la beauté du paysage nous hypnotise, nous posons les vélos et dégustons les feuilletés aux comté du sympathique boulanger. Sur cette photo, nous distinguons clairement à gauche la grisaille corrézienne evanescente, et à droite le ciel bleu azur haut-viennois.
Notre destination finale approche, nous retrouvons peu à peu la civilisation, comme une douce transition. Puis, le bruit des moteurs, l'odeur des gaz d'échappement... il est 16h et ça y est, cette fois c'est vraiment terminé :
Le bilan de ce formidable périple, ce sont en chiffres 320 km pour près de 7000 mètres de dénivelé cumulé (contre 4800 annoncés), couverts en 21 heures de pédalage. Aucun pépin mécanique, pas une goutte de pluie. Au-delà des chiffres, ce sont surtout 52 heures de bonheur partagées avec un excellent ami, comme une parenthèse suspendue dans nos quotidiens respectifs.
L'aventure commence réellement en bas de chez soi.