Parce que mes aventures à VTT ne sont pas toujours "rêve, bonheur et volupté", je vous raconte aussi ma virée d'hier dans le Morvan, assez laborieuse et que je pourrais résumer par les conseils d'un marin ou d'un guide de montagne : "ne jamais présumer de ses capacités, toujours rester humble". Même si cette sortie ne restera pas dans les annales, sauf peut-être les miennes (voire le mien), j'ai pensé que la seule beauté des paysages traversés méritait un récit.
Un club du coin a mis en ligne début juin un challenge : 5 traces VTT à suivre en forme de boucle, pour une distance totale de 210 km et 5000 de D+ annoncé. Le truc m'a émoustillé, j'ai voulu tenter à plusieurs reprises mais la météo m'en a dissuadé. Et puis mardi soir, un alignement de planètes s'est produit : possibilité pour moi de poser ma journée, et météo faborable. Ni une, ni deux : je remonte en vitesse le TS, je charge mes affaires dans l'auto et programme mon réveil à 4h le mercredi matin.
A l'heure dite je me lève, je décolle dans la foulée. J'ai un peu de route, ça me laisse le temps de grignotter dans la voiture. J'ai fusionné les 5 traces, mon idée est de partir juste avant le lever du soleil et de tenter de boucler le tour avant la nuit. J'ai simplement modifié le lieu de départ : la boucle part normalement de Château Chinon, j'ai positionné le départ à Quarré les Tombes car c'est plus proche de la sortie A6. J'arrive donc sur place, prépare mes affaires, et décolle "à l'éclairage". Faux départ, dans la pénombre j'ai mal monté ma roue arrière, la chaîne est coincée entre le petit pignon et la base arrière... ça commence fort.
Cet incident réparé, je m'élance, surpris par la douceur : 17°C ! En sortant du village, en surplomb d'une vallée, je comprends vite qu'une fois en bas ça n'est pas la même histoire... en bas de la première descente, une nappe d'air humide et glacial me cueille. Heureusement, ça remonte vite, le plat est une denrée rare dans le coin. J'enclenche la première montée, et... pschhhh, le pneu arrière vient de percer. Je roule depuis à peine 5 bornes, la nuit est encore noire, cooooooool ! Je m'arrête, place la perforation vers le bas, par chance le préventif rebouche sans besoin de poser une mèche. Je repars, mais je déteste ça : je sais pas vous mais moi, dès que j'entends "pschhh", le reste de la sortie j'ai l'impression d'être crevé du pneu incriminé. Bref.
En haut de la première bosse, le soleil pointe le bout de son nez, et la féérie naturelle commence :
Le jour se lève donc, l'atmosphère se... refroidit. Je n'ai pas froid, mais c'est limite. J'ai la flemme de sortir le coupe-vent du sac, donc ça ira bien comme ça. La trace arrive sur le site de l'abbaye de La Pierre qui Vire :
Pour les éventuels catholiques pratiquants, j'y passe pile à l'heure de l'office des Laudes, à 6h05. C'est le deuxième office de la journée, après Vigiles à 2h05. Je me dis qu'il faut certes être un peu barré pour décoller de chez soi en pleine nuit pour aller faire du VTT, mais qu'il ne faut pas l'être moins pour se lever à 2h prier un dieu dont on a des "preuves d'existence" somme toute assez relatives ! Les abords de l'abbaye, site très touristique, sont déserts à cette heure matinale. Je file et emprunte un chouette sentier, déjà arpenté avec l'ami Ocus en mai dernier. S'en suit un single qui descend à un torrent, avec des blocs bien techniques et trialisants :
Je reprends peu à peu mes marques avec le TS, pas utilisé depuis septembre dernier, et m'amuse comme un cabri... puis me résouds à me calmer, car la journée va être longue. La trace rejoint ensuite le lac de Saint Agnan, une retenue d'eau artificielle de 140 hectares créée en 1969. A cette heure matinale, le cliquetis de ma roue libre dérange à peine les campeurs disséminés sur le bord du lac :
La trace emprunte une bonne moitié du tour du lac, long de 9 km au total. Au bout d'un moment, je pense à une blague de mon Garmin, la trace coupant en plein milieu du bleu de la carte, mais en fait non :
Immédiatement après ce passage, au détour d'un sentier je me sens obligé de m'arrêter pour capturer cette fabuleuse lumière, malheureusement assez mal restituée par la photo :
Dans le Morvan, les bosses sont courtes mais souvent raides, et font toujours mal ! Au sommet de l'une d'entre elles, après avoir franchi un chemin obstrué par un engin forestier en plein travail (compliqué de me signaler au chauffeur, j'ai un peu flippé), récompense avec ce superbe panorama :
Il doit être aux environs de 8h, et je sue déjà à grosses gouttes... la trace se poursuit, et déboule sur une nouvelle portion en single qui débouche sur cette jolie cascade, bien alimentée par les pluies des 800 derniers jours dans le coin :
Puis vient ensuite le "lac majeur" du Morvan, le lac des Settons. Quand la mer est calme, on a l'expression "calme comme un lac", eh bien on comprend bien d'où ça vient ! la surface du lac est un véritable miroir, et ce lieu habituellement si touristique est absolument désert à cette heure matinale. Tant mieux, le sentier qui en fait le tour est plutôt sympa et je peux en profiter en toute liberté. Je tombe sur des sanitaires publics à la propreté irréprochable, ce qui me permet de refaire les niveaux d'eau.
Pour la petite histoire, le lac des Settons est apparu au milieu du XIXème siècle, créé initialement pour réguler la circulation de l'Yonne et favoriser la flottaison des bois jusqu'à Paris (eh oui, à l'époque il n'existait pas de grumiers !). D'une superficie de 366 hectares, c'est le plus grand lac du Morvan : son tour fait 13 km. Bref, j'ai encore de la route !
En haut d'une bosse, je fais une pause. L'occasion de me rendre compte que j'ai mal aux lombaires... après quasiment un an et pas loin de 5000 km en tout rigide, je n'avais jamais eu aucune douleur nulle part. Et là, en 50 bornes de TS, j'ai mal au dos. Un comble ! sûrement ma position qui est mal ajustée, ou la façon de pédaler différente, ou bien le Camel sur le dos (je n'en avais pas porté depuis un an), ou bien tous ces facteurs combinés... bref, ça me fait suer. Mais pour le reste, le vélo remonté à la va-vite la veille dans mon garage tourne comme une horloge, il me manque juste les spirgrips laissés sur le TR (qui me manquent vraiment, j'ai passé la journée à les chercher).
La chaleur grimpe, je bois énormément, mes 2 bidons de 770 ml sont justes et j'ai du mal à trouver des points d'eau. Je m'arrête donc refaire le plein dès que j'en trouve un, mais les fontaines publiques sont bien plus rares qu'en Limousin... mon voyage se poursuit, les kilomètres défilent, je me sens bien :
Et puis en fin de matinée, vers 11h30, d'un coup : plus de jus. Je n'ai plus rien dans les jambes, ça m'a pris d'un coup, en 10 minutes. Pourtant j'avais du suvre dans mes bidons, j'ai forcé sur l'alimentation en ingurgitant 2 barres par heure, à intervalles réguliers... les bosses deviennent un suplice, au moindre faux-plat je dois mettre "tout à gauche", la chaleur m'écrase (il doit faire 25°C pourtant)... je suis surpris, je tâche de gérer et cherche à m'arrêter manger salé. Je finis par tomber sur une épicerie aux rayons vidés, à Arnost. Je décide malgré tout de faire ma pause là : sandwiches Sodebo dégueulasses, bâton de berger idem, coca... ça fera l'affaire, j'avais besoin de salé. J'en suis pile à la moitié du parcours (105 km, 2600 de D+), la pause est bienvenue, je m'arrête une grosse vingtaine de minutes :
En me forçant à manger mes sandwiches qui collent au palais j'observe le monument au mort situé en face de la terrasse de l'épicerie, et à lire la répétition de certains noms parfois au-delà de la dizaine je me dis que certaines familles du village ont payé un très lourd tribut lors de la première guerre mondiale :
Bref, j'en profite pour relubrifier un peu la chaîne (le terrain est globalement sec mais dans le Morvan, les "mares à cochons" sont très, très profondes) et je repars, regaillardi.
A compter de maintenant, vous aurez moins de photos, parce que le reste de la journée s'est déroulé "dans le dur"... après 15 minutes de digestion, je sens que je vais mieux. Je monte à Château Chinon, j'achète un bon dessert (pudding aux pommes) et reprend une canette ultra sucrée, que je garde pour déguster au calvaire, d'où le point de vue sur le sud Morvan est splendide :
Pendant une heure, je me sens vraiment mieux, j'ai l'impression que le "second souffle" est arrivé. Les sentiers monotrace imaginés par le club local sont un plaisir. Puis, à nouveau, je cale. Je m'arrête, j'avale la canette de Perrier de réserve pour me désaltérer, la chaleur m'étouffe... je re re mange, et re repars. A compter de là, une montée interminable sur une ancienne voie de tram en faux-plat "facile" m'assomme, souvent en plein soleil je lutte. Dans certains raidards insignifiants, je mets pied à terre, incapable de forcer sur les pédales. Je m'aperçois que marcher me permet au moins de me détendre, j'ai le sentiment que ça me fait du bien. La trace m'amène à la Chapelle St Roch de Montbois, je suis à sec d'eau. Je trouve une source, pas du tout engageante mais tant pis, j'ai trop soif : je fais le plein, m'arrose la nuque et le visage.
Je me sens mieux et repars, avale le pétard suivant avec une relative facilité. Je croise alors un gars en VAE qui connaît l'ami d'un ami. Dingue. On discute, il en chie, je monte plus vite que lui ! Puis en faut d'une barre rocheuse, après un petit moment d'escalade, nouvelle pause. Le gars en VAE me reprend, je lui dis en rigolant que depuis une heure je passe plus de temps allongé dans l'herbe que sur le vélo, il dit que lui n'a pas ma dignité et en fait de même mais en s'écartant du chemin pour se cacher...
Puis je me sens mieux, je dévale une belle descente et suis de retour au lac des Settons, pour longer l'autre rive (la trace est en 8) :
C'est pas du tout la même histoire que le matin, là c'est blindé de touristes, difficile de rouler sur le sentier en se faufilant entre les familles de vacanciers. Je croise un couple en bikepacking, dont lui est en... Bullitt. On se croise à plusieurs reprises (eux sont sur route), on discute, sympathise : belle rencontre ! Ensuite, transition plate, je roule bien, j'ai le sentiment que le coup de moins bien est derrière moi. La grosse bosse suivante passe bien, celle d'après aussi, puis la troisième re paf, je cale. Je commence à en avoir marre, je m'arrête pour re re re remanger. Je dévore mon bâton de berger (chaîne du froid impeccable !) comme un goinfre préhistorique :
J'en suis dans un état tellement second que j'en viens à trouver super beau l'arbre qui m'abrite du soleil, au point de le prendre en photo :
Et puis après, plus de photos... je finis par échouer au kilomètre 171, j'ai curieusement encore des jambes mais dans ma tête mes différentes pannes de la journée m'ont lessivé. Il me reste 38 km sur la trace, la voiture est à 27 km par la route. J'ai 4200 de D+ au compteur, j'estime vu mon état avoir encore 2h30 de pédalage minimum, je n'ai plus grand chose à manger et tout est désormais fermé... résigné, je décide de rentrer par la route. Après quelques kilomètres sur la route, nouveau coup de calgon : je pose le vélo et m'affale dans l'herbe, j'ai du mal à tenir debout. Je tire du sac un Twix et un Snickers, leur goût en bouche me fait du bien. A nouveau, je n'ai quasiment plus d'eau, je m'arrête dans une ferme pour me dépanner. Je reste allongé 10 minutes, le jour est tombé et la fraîcheur avec, donc je me relève pour ne pas me refroidir. Je finis par tomber sur une fontaine, à 15 bornes de l'arrivée : je me rince abondamment, je bois beaucoup, et d'un coup ça va mieux.
Je finis vers 21 heures. Heureux de retrouver ma voiture. J'ai quand même pris du plaisir, les paysages sont superbes, nature à perte de vue, sauvage. Au final, 202 km et 4650 de D+. Je n'ai pas bouclé la totalité de la trace, mais comme je suis têtu, j'ai prévu d'y retourner, mieux armé.
Si vous la tentez, prenez un VTT : en gravel c'est chaud, certaines portions sont réellement du pur VTT. En TR j'aurais bien galéré je pense. Attention, les possibilités de ravitaillement en eau sont assez rares (sauf en comptant sur les riverains), les ravitaillements en alimentation sont très, très rares, sauf à s'écarter copieusement de la trace. La trace est disponible en 5 portions d'environ 45 km, je pense que l'idéal (n'est-ce pas Philou !) est de la faire en 2 fois 105 bornes, pour profiter au maximum.
Merci de m'avoir lu !